Une histoire d’hommes
Fondée en 1952 par Henri Lederman, Carvil s’installe rue Royale, et ouvre la même année son magasin de la rue Pierre Charron au coeur du triangle d’or parisien. Le Paris branché d’après-guerre écoute Boris Vian, Salvador ou Danny Boy. Et au cinéma, dans les Tontons flingueurs, un monstre sacré crève l’écran : sur les dialogues de Michel Audiard, Lino Ventura immortalise le premier mocassin Carvil, le Triomphe. La Nouvelle Vague débarque, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon se croisent dans Sois belle et tais-toi.
Au début des années 60, en pleine vogue du mocassin, Delon fait s’extasier Hollywood dans Plein Soleil. Le charisme et la classe de Tom Ripley précipitent la carrière de l’acteur. Aux pieds, Le Carvil, mocassin à mors de caractère et pièce fétiche de l’acteur. En 1966, les playboys de Jacques Dutronc s’habillent chez Cardin et se chaussent chez Carvil, alors au zénith de sa popularité.
Au même moment, Henri Lederman dessine la bottine Dylan en hommage à l’artiste, version zippée et velours noir. A l’aise en blue jeans, veste en cuir et lunettes noires, le soulier de chez Carvil ajoute à l’élégance un degré d’impertinence. Sa version en vernis blanc est popularisée sur scène par Claude François qui fait réaliser ses modèles sur mesure – talons relevés de cinq centimètres -, Joe Dassin et Alain Chamfort pour son premier Olympia, suivent le pas. Un soulier dont la postérité ira jusqu’au cercueil de Mike Brant, habillé d’une paire de bottines blanches pour l’occasion.
L’adoration est la même à l’étranger. En 1968, l’homme à l’harmonica d’Il était une fois dans l’ouest, s’appelle Charles Bronson. La star du western de Sergio Leone fait le tour du monde en Carvil. Cary Grant porte lui aussi les mocassins achetés à Paris.
Début des années 80, la maison Carvil change de propriétaire. Shootée par Giacometti et Dumoulin, l’affiche reprenant les traits de David Bowie et de sa China Girl s’affiche dans Paris. Et rue Pierre Charron, les mythes continuent de défiler. Les pieds de Coluche, chaussés sur-mesure dans les souliers Opéra, un escarpin du soir en velours violet devenu objet de collection. Ceux de la famille Bouglione, commandant leurs souliers en couleur ou d’Eddy Barclay qui fait y chausser tous ses invités pour ses soirées blanches. Même le King of Pop, Mickaël Jackson fera son apparition dans la boutique du 8ème.
Carvil traverse les années 2000 discrètement, désormais pilotée par Frédérique Picard. L’adresse se passe sous le manteau. Toujours de père en fils. Les fidèles, les néodandys viennent chercher le 26909 ou le 26907, des richelieus adaptés au goût du jour, des bottines, des escarpins du soir chics, les slippers de l’hiver ou de l’été. Et le cinéma comme la musique lui restent fidèles. Ben Harper y trouve ses bottines en agneau vert bouteille, Ariel Wizman et Edouard Baer étoffent à chaque saison leurs collections, Stromae et Benjamin Biolay s’y essaient aujourd’hui.